Venise
en Crète
de Joëlle Dalègre
de l'INALCO
" ce que Venise a changé
ou voulu changer à la Crète en cinq siècles "
Dans le cadre de ses conférences, la
Communauté hellénique de Paris a reçu Madame Joëlle Dalègre
le 7/11/2019 à la Maison de la Grèce.
A cette occasion, notre responsable de la Commission
culturelle, Marie Roblin, a présenté l’oratrice et son sujet
:
"Ce que Venise a changé ou voulu changer à la Crète en
cinq siècles",
objet de questionnement qui découle directement de son
dernier livre,
Venise en Crète,
dans les termes suivants :
Joëlle Dalègre, maître de conférences émérite à l'Inalco,
habilitée à y diriger des recherches, agrégée d'histoire et
docteure en géographie, est historienne, spécialiste de la
Grèce contemporaine, de son histoire, de ses
caractéristiques géographiques et, par conséquent, auteur de
plusieurs livres sur ce pays. Ses recherches et ses ouvrages
portent essentiellement sur le XXe siècle grec, les rapports
entre l'État grec, ses minorités et ses voisins – voire la
situation de la Thrace et des minorités – la guerre civile,
et aussi sur d’autres problèmes rencontrés par la Grèce, que
dévoilent l'histoire du pays depuis 1940, les relations
gréco-turques ou la crise actuelle...
Joëlle Dalègre est également rédactrice en chef des Cahiers
Balkaniques, co-directrice de la collection Méditerranée(S)
et directrice du Centre Études Balkaniques à l'Inalco.
Elle a publié pas moins de 6 ouvrages sur la Grèce
(chez l'Harmattan) :
La Thrace Grecque : populations et territoire depuis 1878,
Grecs et Ottomans 1453-1923,
La Grèce depuis 1940,
Andartika : chants de la résistance grecque,
La Grèce d'aujourd'hui : de l'autre côté du miroir,
Regards sur la crise grecque.
Sans vouloir pénétrer trop avant dans le vif du sujet, je
tracerai pour vous quelques grandes lignes que, déjà, les
titres du livre et de la conférence laissent deviner… c.à.d.
les quasiment cinq siècles (de 1208-9 à 1646-1669) que
traversa la Crète, sous domination vénitienne — période dont
nombre d’entre nous, peu férus de l’histoire de l’île,
ignorons comment, après avoir été, successivement, byzantine
et arabe, la Crète tomba dans l’escarcelle de Venise, qui
l’a purement et simplement achetée à Boniface Montferrat,
roi de Salonique, pour 1000 marcs d’argent, à la suite de la
IVe Croisade.
Ainsi débuta une entreprise de colonisation, avec tout ce
que cela implique : intrusion d’un pays étranger qui établit
ses règles, son administration, sa justice et des principes
économiques bien à son avantage, qui commence par imposer sa
religion, l’usage de sa langue et son modèle social. Bien
contrôlé et centralisé, le système vise à avantager les
colons et à tirer le meilleur profit des ressources de
l’île. Les années passant, bien sûr, le fonctionnement
s’assouplit, s’adapte aux réalités qui prennent le dessus –
coexistence obligatoire oblige – avec des identités qui
s’affirment, éventuellement s’opposent mais finissent par se
mélanger à force de se côtoyer. Mariages mixtes, églises
ouvertes à des cultes différents, échanges culturels, le
rapprochement et le brassage humain entre les deux
populations est presque inévitable, malgré la méfiance
vénitienne et l’esprit de rébellion crétois qui n’ont jamais
disparu. N’empêche, c’est ainsi que, dans ce creuset de
contraintes mâtinées de contradictions, naîtra la
Renaissance crétoise, marquée par une diffusion du savoir et
une éclosion artistique exceptionnelles : l’enseignement, la
littérature et la peinture, l’architecture et la musique,
renforcés par le développement de l’imprimerie. Tous les
domaines artistiques et culturels sont concernés.
Pour décrire tout cela, le livre de Joëlle Dalègre s’appuie
sur des trésors d’informations, de documents, ainsi que sur
un examen historique rigoureux (archives de la Sérénissime,
archives de notaires crétois, documents des chercheurs grecs
de l’Institut grec de Venise et de l’Université de Crète).
Les titres des divisions principales de son ouvrage
reflètent les grandes unités thématiques de sa recherche:
En guise de prologue :
D’une lagune adriatique aux rivages crétois
Une île attirante et
difficile
Il regno di Candia : la
Crète Venise du levant ?
Une Venise architecturale
Un marché méditerranéen
Vivre ensemble
La « Renaissance crétoise
»
Venise, les Turcs, la
Crète
Que conclure : Venise en
Crète ou Crète vénitienne ?…
Chaque expérience de colonisation est vécue différemment –
l’histoire le démontre.
Le facteur humain est un élément primordial, parmi de nombreuses
autres circonstances et conjonctures. Malgré les convictions, les
idéologies bien ancrées des Vénitiens et des Crétois, on voit que
les deux parties ont bien fini par… lâcher du lest ! Un pays, en
l’occurrence, ici, une île, ne traverse pas cinq siècles de
colonisation en restant figé ! Ce n’est pas pour rien qu’au début on
entend parler de Vénéto-Crétois et plus tard de Créto-Vénitiens.
Joëlle Dalègre va nous plonger dans cette aventure
généralement qualifiée de « coexistence pacifique » – à condition de
faire abstraction de pas moins de trente révoltes crétoises ! Son
livre se clôt sur une interrogation, le lecteur étant, en
définitive, appelé à se prononcer dans l’un ou l’autre sens, selon
sa compréhension et sa sensibilité. C’est aussi l’enjeu de la
conférence de ce soir que d’aider l’auditoire, dans la continuité
des recherches historiques qui vont lui être exposées, à se former
une opinion susceptible de trancher le débat que le livre laisse
ouvert.
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