Vinciane PIRENNE-DELFORGE

Loi des dieux, loi des hommes

 
 
     

Communauté Hellénique
de Paris et des Environs

Tel : 01 47 04 67 89

 

Ελληνική Κοινότητα
Παρισιού και Περιχώρων

Τηλ : 00 331 47 04 67 89

 

La Communauté Hellénique de Paris et des environs
 

 

 

 

 

 

Le 10 avril, nous avons eu l’honneur et le plaisir de recevoir, à la Maison de la Grèce, Mme Vinciane Pirenne-Delforge, professeure au Collège de France et à l’Université de Liège, qui a bien voulu, dans le cadre des séminaires organisés par THEATRA II, développer le thème suivant :
Loi des dieux, loi des hommes ? Quelques réflexions sur les honneurs rendus aux morts en Grèce ancienne.
Après l’allocution d’usage de la présidente de la Communauté, Mme Séta Théodoridis, la présidente de l’association THEATRA II, Mme Miranda Skoulatos, est intervenue pour présenter l’association, ses objectifs, ses activités, ses recherches. Mme Jacqueline Rascolnicoff a pris, ensuite, la parole pour évoquer brièvement le parcours et l’œuvre de la conférencière, Mme Vinciane Pirenne-Delforge.
Depuis 30 ans, Mme Pirenne-Delforge s’est attachée à comprendre les mécanismes de fonctionnement du polythéisme dans le monde grec ancien et, au-delà, ceux des systèmes religieux pluriels en général, en ouvrant le dialogue avec d’autres sociétés de la méditerranée antique. Elle est directrice de recherche au Fonds de la Recherche Scientifique belge (FNRS) ; elle a enseigné, pendant près de 15 ans, à l’université de Liège, tout en dirigeant l’unité de recherche « Histoire et anthropologie des religions ». Son élection à la chaire : Religion, histoire et société dans le monde grec antique, perpétue une longue tradition d’études helléniques au Collège de France.
Mme Pirenne-Delforge explicite, d’abord, le titre de sa conférence, en partant des Suppliantes. Elle se réfère, en premier lieu, à Hérodote qui relate l’histoire de Cambyse – un homme au bord de la folie, tyrannique et cruel, qui déterrait des cadavres – qui blesse mortellement le taureau Apis ; selon la tradition grecque, le roi aurait même fait flageller son cadavre. Illustrant sa méthode, elle établit un parallèle avec Darius : à quel prix eût-il mangé le cadavre de son père ? À quel prix l’eût-il brûlé ? Ici, la coutume est omnipotente. Chez le même historien, les coutumes des Perses, le culte rendu aux dieux, l’interdiction de vomir et d’uriner en présence d’autres personnes, constituent une mosaïque de croyances et même un peu plus car, au terme de la liste, ce que l’on va cerner, c’est le rituel funéraire des Perses (tout ce qui, en définitive, va concerner le sort de la dépouille mortelle).
La relation des honneurs funèbres avec les dieux n’est pas immédiate. Dans l’épisode de la guerre des Sept contre Thèbes, Adraste, roi d’Argos, pousse les mères des soldats morts à demander l’intervention de Thésée, roi d’Athènes, pour réclamer le corps de Polynice, mort avec son frère à Argos, ainsi que celui d’autres morts de cette expédition. À Eleusis, ces mères douloureuses se prosternent devant le temple de Déméter, en suppliant la déesse. Elles affirment être dans leur droit – la justice doit permettre qu’elles revoient le corps de leurs fils ! – et, qui plus est, cette revendication concorde avec l’ όσιο, ce que les hommes accomplissent pour plaire aux dieux et leur rendre les hommages qui leur sont dus. Thésée le dit : nous sommes dans le registre de la loi divine.
La mère de Thésée, elle-même, empêche que soient transgressées les lois communes à toute la Grèce. Ainsi, s’imbriquent à la fois les lois humaines et tout ce qui concourt à une bonne interaction avec les dieux (τα όσια). En permanence, la loi humaine et la loi divine oscillent, alternant références verticales et références horizontales, elles-mêmes intimement liées, avec une sorte de prévalence à la loi humaine. Pourquoi les cités ont-elles décidé d’inscrire sur les stèles les prescriptions funéraires ? Même si l’on se souvient, dans Antigone, des lois non écrites (τα άγραφα). Comment opère- t- on ce partage entre ce qui s’exprime et ce qui est tu ?
Mme Pirenne-Delforge détaille alors les différents rites mentionnés sur des stèles, les diverses inscriptions, les sacrifices rapportés (θυσία) : on égorge l’animal, on le saigne, il s’agit d’une manipulation de haute intensité, où se mêlent souillure et purification, sans aucune communication avec les dieux car on est en dehors de toute offrande divine, le destinataire est le mort lui-même. Les femmes sont les premières à être mises en scène, elles sont particulièrement concernées par les soins aux défunts. Chez Euripide, les participants endossent le respect des lois humaines et divines. La purification est absente des Suppliantes – la fonction du sang animal, purifiant et revigorant, s’efface devant le défunt et les angoisses liées à la mort. Le message final se rapporte à la guerre, ainsi qu’aux rites et aux prescriptions.
Des sanctions sont à craindre quand le rite n’est pas respecté. Dans l’Antiquité, même si on se référait aux dieux, il faut garder à l’esprit qu’il s’agissait aussi de traiter un problème sanitaire. Des inscriptions comportant des prescriptions de rites funéraires ont été trouvées à Chios et en Asie Mineure et elles constituent le νόμος de tous les Grecs (άγραφος νόμος), cet ordre du non écrit, pour autant, pleinement partagé dans le comportement (ήθος) : sang en commun et respect du traitement des morts, identique pour les deux sexes. Il y avait une quarantaine observée pour les femmes de la famille ; rapport de souillure à tout ce qui fait l’essence de la vie et de notre humanité. Soulignons que tous ces rites étaient accomplis sans prêtre.
Pour nous, la représentation minutieuse du déroulement des cérémonies funéraires, avec tout le rituel, de la toilette des corps à l'édification du tombeau, offre une abondance de renseignements sans équivalent dans aucun autre texte. Accorder la sépulture aux morts est une obligation imposée par les dieux et reconnue par les hommes, c'est «la loi de tous les Grecs », loi morale mais aussi politiquement indispensable parce qu'elle contribue à la stabilité et la cohésion des cités. On doit donc un sépulcre aux morts ; refuser de les ensevelir, c'est outrager les hommes et les dieux, c’est «souiller les lois humaines » et défier celles des dieux.
À la fin de la conférence de Mme Pirenne-Delforge, que nous remercions vivement ici, nous avons eu le plaisir de prendre connaissance de son dernier livre L’Héra de Zeus: Ennemie intime, épouse définitive, paru aux éditions des Belles Lettres.


 Marie Roblin

   .


 


 

 

                                                                                                                                                    

 

 

Page d'accueil