Bonsoir à toutes et à tous,
merci de votre présence.
Je remercie, bien entendu,
Michel Bruneau d’être parmi nous, ce soir, et lui souhaite
la bienvenue, à l’occasion de son deuxième voire troisième
passage, à la Maison de la Grèce ; il nous avait rendu
visite, il y a quelques années de cela, pour nous parler
d’un autre sujet, également important, Des Grecs
pontiques :
diaspora, identité, territoires.
Je dirai quelques mots pour
vous le présenter, très brièvement, ainsi que son œuvre.
Michel Bruneau
est un
géographe
et helléniste français, plus largement
fin connaisseur du monde grec, mais également éminent
spécialiste de l'Asie du Sud-est, des questions de diaspora
et des espaces transnationaux, dans une perspective
interdisciplinaire,
histoire,
sociologie-anthropologie, science politique,
géographie, s'appuyant notamment sur
l'exemple de la diaspora grecque. Directeur de
recherches émérite au CNRS, Michel Bruneau est rattaché à
l'UMR
« Europe, européanité, européanisation » de
l'université
de Bordeaux.
Ses
publications s’articulent autour de cinq axes de recherches
et d’études :
L’Asie
du Sud-est
– en
témoigne, d’ailleurs, le sujet de sa thèse de doctorat à
l’université Paris IV :
Recherches sur l'organisation de l'espace dans le Nord de la
Thaïlande
L’histoire et l'épistémologie de la géographie
Les
diasporas et le transnationalisme
L’espace eurasiatique et les États-nations
L’Asie
Mineure et la Turquie
Et c’est précisément à cette
dernière orientation de son travail qu’appartient l’essai de
géohistoire De l’Asie Mineure à la Turquie :
minorités, homogénéisation ethno-nationale,
diasporas, dont il sera question, ce soir. Ouvrage
pour lequel – soit dit en passant – l’auteur a reçu le
Prix René Pierre
Louis Bessières 2016 de la Société de
Géographie de Paris, et qui est actuellement en cours de
traduction en grec à Thessalonique et sera publié sans doute
à la fin de l'année 2018 par l'éditeur Kyriakidis. Il doit
aussi sortir en turc à Istanbul en février ou mars prochain.
Il a également été traduit en arabe et sortira au Koweït en
2018 avec un tirage assez fort, distribué dans l'ensemble du
monde arabe. Ce dernier point est à souligner, car cela
permettra de faire connaître l'histoire des Grecs d'Asie
Mineure à un assez large public arabe qui ne la connaît pas
bien ou pas du tout.
Cet essai a pour objectif de
comprendre pourquoi la péninsule d’Asie Mineure, longtemps
associée à celle des Balkans, dans le cadre d’empires
multiethniques (byzantin puis ottoman), a évolué dans une
direction divergente, vers une tendance à une
homogénéisation de plus en plus grande (un seul État-nation
turc), alors que les Balkans ont, au contraire, évolué vers
une fragmentation entre un nombre de plus en plus grand
d’États-nations. Le phénomène est appréhendé dans la longue
durée (de l’Antiquité à nos jours) et la durée courte (la
Seconde Guerre Mondiale).
Un ouvrage ample de géographe,
qui se fait aussi historien. Qui est explicite par son
titre. Dans son interrogation
sur la transformation de la
désignation « d’Asie Mineure » en un couple : « Anatolie » –
« Turquie »,
l’auteur cherche à définir
la trajectoire ayant mené à l’État-nation turc. Pour ce
faire, il remonte le fil de l’histoire des populations et
des civilisations (empires romain, byzantin, ottoman) qui se
sont partagé un territoire, désormais, largement turquisé et
islamisé.
La démonstration de Michel Bruneau – que je ne fais que
survoler – s’organise en cinq grandes unités dont l’objet
d’étude est l’Asie Mineure ou Anatolie – l’espace
territorial donc, traversant les
domaines chronologiques de l’histoire (Antiquité,
Moyen Âge byzantin, période ottomane, histoire
contemporaine) et les peuples mondes, dans la longue durée ;
c’est également la tentative d’homogénéisation ethnique de
ces espaces par le moyen de « l’ingénierie démographique» ;
les interfaces de la Turquie avec les pays voisins et le
monde ; les diasporas et le transnationalisme des pays
d’Asie Mineure, les lieux de sa mémoire et la communauté
transnationale turque. Elles interrogent, chacune, la mise
en œuvre d’une ingénierie démographique – terme
d’euphémisme ou de pudique litote – qui, dès la fin du
xixe siècle,
et surtout à partir de 1915 par le gouvernement jeune-turc,
mais aussi plus tard par le pouvoir kémaliste, inclut des
événements traumatiques, massacres, purifications ethniques,
spoliations
matérielles, génocides visant à l’éradication des minorités
chrétiennes – mais pas seulement ! – à leur disparition,
expulsion ou répression, (des Arméniens, Grecs, Kurdes ou
Assyro-Chaldéens).
De l’Asie Mineure à la Turquie est le fruit de dix
ans de recherches et de réflexion, de voyages fréquents en
Grèce et en Turquie durant vingt ans et d’enquêtes auprès
des populations de réfugiés et de leurs descendants, sans
oublier les références bibliographiques de sources
multiples, appartenant à des langues et disciplines
différentes, ainsi qu’à des domaines chronologiques de
l’histoire très étendus.
Sa
grande originalité réside dans le choix d'une approche
globale pour analyser la disparition, l'expulsion ou la
répression des diverses minorités du territoire. En
conclusion, « De l’Asie mineure à la Turquie, minorités,
homogénéisation ethno-nationale, diasporas » est un
livre dense, complexe et passionnant permettant de mieux
comprendre, à travers l’histoire et la géographie, les
principaux enjeux d’une région clé entre l’Europe et le
Moyen-Orient, aujourd’hui encore et toujours sous les feux
de l’actualité en raison de la guerre contre Daesh, de la
situation en Syrie, de la question kurde et de l’évolution
politique propre de la Turquie.
À l’heure où certains discutent
encore d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne,
cet ouvrage permet d’éclairer le problème que pose aux
négociateurs la négation par les autorités turques de ces
périodes de l’Histoire.
Le monde actuel agité, troublé et
mouvant d’incertitudes et de bouleversements, nous incite à
lire cet ouvrage, précis, documenté et analytique qui, de
plus, comporte à la fin un glossaire fort utile pour la
compréhension de cette somme d’érudition ; c’est plus qu’un
livre instructif pour nous Grecs et grecs de la diaspora,
c’est un apport vital.
Merci
Marie Roblin
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