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Mesdames,
Messieurs,
Chers Amis,
Ce soir, nous
recevons Anastasio Karababas, d’origine grecque,
professeur
d’Histoire-Géographie et d’Enseignement moral et
civique au Lycée de l’Alliance, lycée privé jouissant
d’une excellente réputation, situé aux
Pavillons-sous-Bois,
en Seine-Saint-Denis ;
en
parallèle, il exerce comme guide-conférencier au Mémorial de
la Shoah, à Paris, où il assure
les visites du site et anime différents ateliers. Ses
interventions se font donc à Paris mais, également en
province, si je puis dire, car, pour être politiquement
correct, on ne dit même plus « en région », mais « dans les
territoires »… Bref, Anastasio
Karababas
s’efforce d’éveiller et d’alerter les consciences de nos
jeunes tout particulièrement dans des établissements
scolaires de l’Éducation Nationale.
Historien, donc, et auteur
de La Shoah. L’obsession de
l’antisémitisme depuis le XIXe siècle
(aux éd. Bréal) et de la récente étude dont il parlera ce
soir : Sur les traces des Juifs de Grèce (aux
éditions du CRIF, acronyme bien connu du Conseil
représentatif des institutions juives en France).
Les recherches d’Anastasio
Karababas se concentrent sur les thèmes du génocide juif, de la Mémoire et de sa
transmission aux nouvelles générations ;
les leçons sont loin d’être tirées, dans un monde en perte de repères, où
l’instruction pourrait jouer un rôle fondamental de
garde-fou contre
toutes les formes de racisme et de discrimination.
"DANS CERTAINES ÉCOLES, PAR SOUCI DE PAIX SOCIALE, LES
DISCOURS DE HAINE ANTIJUIVE SONT PARFOIS MINIMISÉS…"
dit-il et il poursuit :
« Je souhaiterais que mon livre
soit justement un rempart contre l’extrémisme. Nous vivons
dans une période trouble et cet ouvrage, pour moi, permet de
revenir sur le passé mais aussi d’interroger le présent et
de mieux préparer l’avenir. »
Ou encore : « Si l’obsession
antisémite n’avait été autant présente dans la conscience
collective occidentale, la Shoah aurait-elle existé?
Aurait-elle trouvé des relais dans la plupart des pays
d’Europe ? » Pour trouver des réponses, il décide, dans ses
livres, de remonter le cours de l’histoire : de quoi est-
elle faite et d’où vient cette haine pluriséculaire contre
les Juifs, qui frappa l’Europe depuis le Moyen-âge et qui, à
son avis, a rendu possible l’extermination de masse que fut
la Shoah ?
En s’attelant à son ouvrage Sur les traces des Juifs de
Grèce, Anastasio Karababas nous révèle une histoire
somme toute assez méconnue, malgré sa richesse, son étendue
et ses répercussions. Concernant, de surcroit, la plus
ancienne communauté juive d’Europe !
Petit survol du très vaste
panorama historique que nous brosse l’auteur : l’arrivée des
Juifs sur le sol de la Grèce débute au
VIe siècle avant Jésus-Christ, après la
destruction du Premier Temple, avec les premières
communautés qui s’y établissent. À travers les siècles – du
XIe au XVe – durant l’empire romain et
byzantin et ensuite ottoman, elles tentent de s’adapter et
de survivre aux nombreuses dominations.
Trois groupes entrent dans la composition de la société
juive de Grèce: les Romaniotes, (installés dans le
territoire, depuis Alexandre le Grand), les Ashkénazes
(venus d’Europe centrale principalement entre le XIe
et le XVe
siècle) et les Sépharades, Juifs de la péninsule ibérique
(arrivés après leur expulsion d’Espagne et du Portugal). Ces
derniers sont de loin les plus nombreux.
Je ne suis pas sûre que les Grecs, eux-mêmes, connaissent
l’essentiel apport des Juifs dans ce territoire hellène,
tout au long des siècles. Pourtant, ils font partie
intégrante du pays.
Dans les régions où ils sont installés –essentiellement à
partir de 1830 et jusqu’en 1912
–
en
Macédoine avec Thessalonique comme épicentre, Thrace, Épire
et Corfou,
la diversité religieuse, culturelle, intellectuelle et
économique du pays est incontestable. Les villes connaissent
la prospérité, grâce notamment à des communautés actives et
intégrées.
Surnommée la Jérusalem
des Balkans, Salonique compte, alors, 54 000 Juifs, soit
40% des habitants de la ville. Ils sont plus de 75 000 à
vivre dans l’ensemble du pays, avant que la tempête de fer,
de sang et de cendres de la Shoah ne s’abatte sur l’Europe
et, en l’occurrence, sur la Grèce, exterminant 90% des juifs
Grecs.
Les répercussions de cette
catastrophe furent longues et effroyables, dans une histoire
nationale qui ne finissait pas de connaître des périodes
tragiques : après la guerre et l’occupation nazi, la guerre
civile et la dictature, jusqu’à la crise politique,
économique et sociale actuelle.
C’est pourquoi la flamme de
la Mémoire a été lente à raviver en Grèce ; mais, enfin, le
réveil mémoriel est là, récent et progressif, tout comme la
volonté dynamique de lutter avec l’aide et la participation
de l’État.
Exemple : le président
israélien posant à
Thessalonique, en janvier 2018, la première pierre d'un
musée de l'Holocauste de 7.000 m2, qui devrait
être achevé en 2020. Sans oublier le développement du
tourisme mémoriel (plus de 500.000 Israéliens, en 2016) et
la multiplication des livres sur l'extermination des Juifs
de Thessalonique.
Le maire de Thessalonique a
prononcé, également en janvier 2018, un mea culpa remarqué,
pour dénoncer l'oubli : "qui a porté le deuil de ses voisins
disparus, quels monuments avons-nous élevés, quelles
cérémonies avons-nous organisées ?" a-t-il lancé, dénonçant
des spoliations, par les Grecs, des biens des Juifs
déportés.
Anastasio Karababas développera pour nous tout ce qui est
fait dans ce sens, actuellement, et nous parlera – je
l’espère – de sa propre contribution.
En guise de conclusion, je dirai
seulement : De la Shoah devrait perdurer une grande leçon.
Qui tous les jours, pour les années à venir, nous
questionnera : Quelle société voulons-nous? Comment
formons-nous les citoyens de demain ? Quelles valeurs
souhaitons-nous qu’ils défendent ?
L’antisémitisme reste,
malheureusement, un des premiers marqueurs de nos
régressions
historiques graves. Alors, soyons
vigilants ! Écoutons !
M.R.
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